Alors que les Assises Internationales du Journalisme se tiendront à Tours en mai prochain, le journalisme est aujourd’hui un métier à mauvaise presse. Entre précarité économique et défiance du public, les chiffres sont formels : le nombre de journalistes baisse en France depuis 2012. Pourtant, les écoles de journalisme restent très populaires et ne cessent de refuser des candidats. Tour d’horizon d’une profession qui divise.
34582. C’est le nombre de journalistes titulaires d’une carte de presse en 2019. Là où les statistiques se corsent, c’est qu’il faut aussi compter les autres professionnels de l’information, les journalistes qui ne possèdent pas cette carte parce qu’ils ne remplissent pas les multiples conditions d’attribution.
Des emplois instables
En 2019, on comptait 25 382 journalistes en CDI, contre 7876 CDD et pigistes (800 pigistes et 7076 CDD). À l’heure actuelle, la part d’emplois stables est donc grande mais elle tend à diminuer si on en croit les chiffres proposés par l’Observatoire des métiers de la presse.
Le statut de pigiste est souvent précaire et instable, et rares sont ceux qui souhaitent délibérément conserver ce statut. Malgré cela, certains journalistes restent pigistes une grande partie de leur carrière. « Certains pensent que tu es pigiste en attendant autre chose », explique la journaliste Gabrielle Brassard-Lecours.
Le journaliste pigiste est payé « à la pige ». Ce qui signifie qu’il est payé pour une tâche, une production et n’a pas de salaire fixe. Certains mois, les pigistes peuvent être mieux payés qu’un salarié en CDI. Mais parfois, le salaire équivaut à une misère. Avec ce statut, difficile donc d’avoir une situation fixe et bien rangée. Et ça se ressent sur la durée des carrières : en moyenne d’une quinzaine d’années, selon le site The Conversation se basant sur une étude du Carism.
Le changement des pratiques
Avec l’arrivée des réseaux-sociaux, les médias dits traditionnels ont pris un coup. Plus nombreux sont les Français aujourd’hui qui tiennent un smartphone en main plutôt qu’un journal papier. Bien que « 70% des 15-35 ans [soient] lecteurs de titres de la presse quotidienne nationale » selon le président directeur général du groupe Les Echos Francis Morel, les journalistes de presse écrite tendent à se faire plus rares.
Finie l’époque d’Albert Londres où le journaliste partait à l’aventure avec un crayon et un carnet ! Peut-être pas tout à fait révolue, mais on assiste à une totale révision du métier de journaliste. Aujourd’hui, on travaille aussi pour Google. On parle liens hypertextes, référencement et taux de rebond. Ça n’est pas pour rien que des écoles de journalisme réputées telles que l’EDJ de Nice ou l’ESJ de Lille ont ajouté de l’écriture web à leurs programmes. « On s’attend à ce que le journaliste soit polyvalent et capable de produire tant à l’écrit qu’à l’audiovisuel » écrivait le journaliste Mathieu-Robert Sauvé.
La défiance du public
Autre point noir : l’agressivité grandissante envers la presse. Crachats, insultes et violence physique, les journalistes encaissent l’animosité des gens depuis quelques années. Au point que certains soient obligés d’embaucher des services de sécurité privés lorsqu’ils vont couvrir des manifestations. Devant cette grande défiance d’un public qui adulait auparavant la profession, beaucoup souhaitent arrêter.
Un métier qui attire toujours ?
Pourtant, selon l’Observatoire des Métiers de la Presse, 1769 cartes de presses ont été nouvellement attribuées en 2019, représentant donc approximativement le même nombre de jeunes journalistes entrés sur le marché du travail. Un nombre sensiblement identique à ce que connait la profession depuis le début des années 2000, sans qu’aucune diminution significative n’ait été constatée. Preuve que le métier attire toujours…
🔎 Zoom sur la carte de presse
La carte de presse, c’est un « outil de travail », expliquait Bénédicte Wautelet, directrice juridique du groupe Figaro à nos confrères de l’AFP. Mais il est tout à fait possible d’être journaliste sans pour autant être titulaire de la carte de presse. Selon le sociologue des médias Jean-Marie Charon, il y aurait en France entre 5 000 et 10 000 journalistes sans carte de presse. Ce qui représenterait près de 20 % des journalistes.
En France, la carte de presse est attribuée sur demande par la C.C.I.J.P. (Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels). Il y a plusieurs critères pour l’obtenir, notamment le critère salarial : il faut que la personne demandant la carte de presse tire la majorité de ses ressources dans un travail journalistique (enquête, écriture d’article ou interviews). Il faut également que le salaire mensuel brut moyen reversé pour ce travail soit supérieur à la moitié du SMIC, donc supérieur à 777,29 € en 2020.
La plupart du temps, tout professionnel de l’information ne rentrant pas dans les critères de la commission verra sa demande refusée. Pourtant, ce précieux sésame facilite grandement leur travail : accès facilité aux lieux où l’accréditation est nécessaire, accès gratuit à tous les musées nationaux, preuve d’une qualité de journaliste reconnue par la profession.