État du journalisme

L’identité du journaliste : définir qui est journaliste

Carte de presse ou pas ? École reconnue ou pas forcément ? En France, la définition du journaliste n’est pas extrêmement claire. Nous tentons ici de définir ce qu’est un journaliste au prisme de plusieurs théories de chercheurs.

Publié le 10 juin 2023

Cet article est extrait du mémoire de fin de master que j’ai soutenu à l’Université de Franche-Comté en juin 2023.

En France comme dans d’autres pays du monde, la définition du journaliste n’est pas extrêmement claire. Si les dictionnaires définissent la profession journalistique d’une certaine manière, des commissions, notamment la commission d’attribution de la carte de presse, ont une autre définition du journaliste. Nous allons, dans cet article, tenter ainsi de définir ce qu’est un journaliste, au prisme de plusieurs définitions, qui nous montrerons que la profession de journaliste n’est pas totalement bornée. Cette définition exploratoire nous permettra ensuite de poursuivre notre étude en ayant en tête des bornes terminologiques du sujet journalistique.

Définir le journaliste

Définitions lexicales

Sur l’acception du mot “journaliste”, le dictionnaire Larousse propose en vérité la définition du journaliste professionnel, en posant qu’un journaliste est une « personne qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice du journalisme dans un ou plusieurs organes de presse écrite ou audiovisuelle » (Larousse, s. d.). Pour le CNRTL, le journalisme est la « manière de présenter les faits et les événements sous un certain éclairage propre aux journalistes » (CNRTL, s. d.-b). Toutefois, ces définitions unilatérales ne peuvent suffire pour décrire cette profession complexe et répondre à la question identitaire du journaliste.

Définition par la loi : la carte de presse

Une entrée par le législatif semble possible également pour tenter de définir le journaliste. En effet, depuis 1935, la carte de presse et la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP) peuvent répondre à une partie de la question en nommant les journalistes professionnels.

Selon Denis Ruellan, la création de la carte de presse visait à l’origine à réguler la profession. Aujourd’hui, son attribution dépend de conditions de ressources et de l’entreprise médiatique dans laquelle le journaliste exerce sa profession, mais cet outil montre des faiblesses quant à ce principe de régulation de la profession. À ce jour, toute personne qui tire d’une activité journalistique « le principal de ses ressources », soit plus de 50 % de ses revenus financiers, peut devenir journaliste (Article L7111-3 du code du Travail, 2008). Il faut que le journalisme soit son « occupation principale et régulière », ce qui n’est pas sans poser de problèmes selon Denis Ruellan, parce qu’une déclaration peut facilement être falsifiée, notamment en omettant volontairement d’indiquer des revenus plus élevés perçus pour d’autres activités (Ruellan, 2005). L’attribution de la carte de presse dépend aussi de l’entreprise médiatique dans laquelle exerce le journaliste. Il faut, en effet, que cette dernière soit reconnue comme telle par la commission, qui prend appui pour cela sur les registres de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP) en ce qui concerne la presse écrite papier et web et de l’Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) pour la radio ou la télévision. En cas de litige, la CCIJP peut également se fier à la jurisprudence, c’est-à-dire aux précédents jugements de la commission, de la Cour de cassation ainsi que du Conseil d’État. Ce dernier donnait la définition d’une publication de presse en 1986 : « une publication de presse doit être destinée à la diffusion publique, disposer d’un minimum d’autonomie, notamment sur le plan financier par la vente des numéros et provenir d’un organisme ayant pour objet principal l’information » (Ruellan, 2005). Mais, comme l’explique Denis Ruellan, cette définition suppose d’exclure automatiquement tous les médias gratuits, comme le fait la CPPAP, qui conditionne l’inscription à son registre à une diffusion « payante et vendue de manière effective », comme cela est mentionné sur le site de l’organisme. Pourtant, les journalistes travaillant pour un support gratuit peuvent fournir un travail journalistique acceptable, et surtout faire de l’activité journaliste leur activité principale. Enfin, citons le cas des correspondants locaux de presse, finalement à mi-chemin entre le citoyen et le journaliste professionnel. L’exemple d’un étudiant correspondant local de presse peut mettre en exergue les limites du statut et des conditions d’attribution de la carte de presse. Étudiant, notre exemple tire près de 100 % de ses ressources financières de cette activité, est en collaboration avec une entreprise médiatique reconnue par la profession (la grande majorité des journaux locaux le sont, notamment car ils embauchent déjà des journalistes professionnels) et peut être parfois très fortement incité à traiter un sujet ou à se rendre à l’agence du journal pour y réaliser des interviews. Le tribunal de commerce estimait en 1929 que « des journalistes, “bien que n’étant pas rémunérés par des appointements fixes ni tenus à aucune heure de présence” mais régulièrement publiés et payés, “doivent être considérés comme des salariés » (Ruellan, 2005).

Nous l’avons vu, il y a la loi, qui définit un cadre et un parcours traditionnel ou classique et il y a tous les cas non prévus par la loi et la jurisprudence, qui doivent alors se traiter au cas par cas. Malgré une sélection et une attribution d’apparence transparente, l’attribution n’est pas systématique et les conditions d’attribution sont floues. Pourtant, cela ne perturbe pas réellement l’exercice de la profession car la carte de presse a aujourd’hui une « dimension symbolique » et il est désormais admis par la Cour de cassation qu’il n’est pas obligatoire, ni nécessaire, de disposer de la carte de presse pour exercer la profession de journaliste (Ruellan, 2005). Personne ne pourra donc être empêché de produire du contenu journalistique et de le diffuser, même sans être journaliste professionnel.

C’est ce postulat qui rend impérative la précision de ce terme “professionnel”, parce qu’un grand nombre de journalistes peuvent exercer aujourd’hui la profession, sans pour autant être titulaires d’une carte de presse. Le membre de l’Observatoire du Récit Médiatique et docteur en communication Benoît Grevisse a d’ailleurs tenté de différencier le journaliste professionnel du journaliste de profession, ce qui permet d’y voir plus clair sur les différents aspects que prend le journalisme aujourd’hui (Grevisse, 2016). La CCIJP tient des comptes et dévoile le nombre de cartes de presse en circulation chaque année, permettant d’obtenir facilement le nombre de journalistes professionnels actuellement en activité. 34 075 cartes de presse ont été attribuées ou renouvelées en 2021 (CCIJP, 2022). Pour les journalistes non-professionnels (les « journalistes de profession » pour Grevisse), les chiffres sont en revanche exclusivement approximatifs, car il n’y a aucun décompte officiel du nombre de journalistes en exercice. Cependant, plusieurs spécialistes des médias ont tenté d’estimer cette donnée. En 2019, avec plus de 35 000 cartes de presse en circulation, le sociologue Jean-Marie Charon estimait à environ 10 000 le nombre de journalistes exerçant la profession sans être titulaires de la carte (Kucinskas, 2019). Soient près d’un tiers des journalistes professionnels. De son côté, la société civile des auteurs multimédias estimait à 42 % de la profession journalistique la part de pigistes et de journalistes non permanents en 2018 (Eustache, 2020, p. 73).

Une définition par le prisme des fonctions

Si les définitions lexicales et la carte de presse ne peuvent suffire pour définir qui est journaliste, c’est également parce qu’il est difficile de proposer du journalisme une définition complète et générale, notamment parce que la pratique diverge souvent de la théorie présentée précédemment. Par conséquent, tentons de définir cette profession en pratique, à travers le rôle du journaliste et ses tâches quotidiennes.

C’est ce à quoi se sont attelés certains chercheurs qui ont tenté de définir le métier à travers ses fonctions professionnelles, comme Georges Potriquet, qui écrit que le journaliste est un « témoin attentif et éclairant » (Potriquet, 2010). Dans cette définition, Potriquet estime donc que le journaliste doit être objectif (même si cette objectivité ne peut être parfaite), comme un témoin qui observe une scène ; et pédagogue, puisqu’il doit pouvoir permettre d’éclairer son public. Parallèlement, le sociologue Jean-Marie Charon écrit que « le journaliste découvre ou choisit un fait qu’il juge intéressant. Il réunit les différents éléments et les vérifie. Il analyse cet événement, l’interprète puis le présente dans les termes adaptés à son public » (Charon, 2007, p. 5). Quoique plus complète, cette définition du journalisme peut paraitre être un peu idyllique et dépassée par le temps. Depuis 2007, date de l’écriture de l’ouvrage de Charon, les pratiques journalistiques ont, en effet, grandement évolué et la notion d’intérêt pour un sujet ou de la vérification des informations est parfois davantage absente dans certaines rédactions, en raison principalement de l’accélération de la cadence informationnelle, notamment sur le web. Nous y reviendrons. Au sujet du journalisme et des médias, la date de parution souvent assez ancienne de certaines productions peut rendre certaines synthèses caduques en raison de l’adaptation des pratiques des journalistes, sur le numérique notamment.

Pour le sociologue et spécialiste des médias, Dominique Wolton, le journaliste travaille avec l’actualité. Il se charge de présenter, d’expliquer et de vulgariser l’information à destination de son public. Le journaliste, « à partir des évènements, construit des informations à destination du public » et vise « à déchiffrer le monde et les évènements pour essayer de les expliquer au plus grand nombre » (Mercier et al., 2009, p. 59). Une définition relativement commune, qui induit pour tout journaliste, professionnel ou non, un principe de vulgarisation et d’explication de l’information et des évènements d’actualité. Dominique Wolton semble en revanche omettre un principe important qui est la sélection des faits, que Jean-Marie Charon choisi de mettre en avant. Tout sujet part, en effet, d’un choix (éditorial ou du journaliste), qui choisit de traiter ce sujet et pas un autre, dans un monde où l’information est abondante et en flux continu. Déjà théorisé par Kurt Lewin en 1947 et appliqué aux médias par David Manning White en 1950, le principe de « gate-keeping » (les journalistes comme sélectionneurs de l’information, qui laissent seulement émerger certaines informations dans l’espace public) prend alors tout son sens, même s’il a ses limites désormais, car les journalistes ne sont plus les seuls à traiter de l’information.

Nous ne pouvons pas contrôler directement l’exercice des pouvoirs et soumettre ceux-ci au regard de tous pour réduire l’arbitraire et empêcher la manipulation […]. Or ce sont des aspects importants d’une société démocratique. Aussi sommes-nous obligés de nous en remettre à d’autres […] pour effectuer ces contrôles, vérifications et participations en notre nom.

Louis Quéré

Toujours avec l’objectif de déterminer le rôle des journalistes, plus précisément des médias dans ce cas précis, nous pouvons nous appuyer sur le travail de Louis Quéré qui, dans un ouvrage de 2005, écrit sur les institutions et le rôle de « dispositifs de confiance » qu’elles jouent dans la société (Quéré, 2005). Selon le CNRTL, une institution est un « organisme public ou privé, régime légal ou social, établi pour répondre à quelque besoin déterminé d’une société donnée » (CNRTL, s. d.-a). Sachant que les médias ont bien été établis pour répondre au besoin d’information des citoyens et qu’il s’agit encore de leur mission aujourd’hui, il est possible de définir les médias comme une institution. Le principe de « dispositif de confiance » s’applique donc bien aux entreprises médiatiques. Cette notion de dispositif de confiance est définie comme telle par Quéré : « nous ne pouvons pas contrôler directement l’exercice des pouvoirs et soumettre ceux-ci au regard de tous pour réduire l’arbitraire et empêcher la manipulation […]. Nous ne pouvons pas non plus participer à tous les débats publics […]. Or ce sont des aspects importants d’une société démocratique. Aussi sommes-nous obligés de nous en remettre à d’autres – à d’autres personnes, mais aussi à des institutions ou des organisations, pour effectuer ces contrôles, vérifications et participations en notre nom. » (Quéré, 2005) Grâce à ces dispositifs de confiance, tout citoyen pourrait de ce fait bénéficier d’une information transparente, notamment des actions et des décisions du gouvernement, par exemple. Comme dans la définition et les conditions de l’existence d’un espace public posée par Jürgen Habermas, les médias devraient participer au processus de publicisation de l’information, et donc d’information, de l’État auprès des citoyens.

Toutes et tous journalistes ?

Nous différenciions précédemment le concept de journaliste professionnel avec celui de journaliste de profession. Cette différenciation semble fondamentale aujourd’hui avec le développement d’Internet, qui rend la frontière entre internautes amateurs et journalistes très poreuse. La problématique n’est pas nouvelle. À l’époque de l’essor de la presse écrite, puis des radios libres, créées dans les années 60-70 à la fin du monopole d’État sur le moyen de radiodiffusion, des particuliers pouvaient facilement et légalement créer leur propre média pour y partager leur contenu. Mais Internet a accéléré et popularisé cette porosité. Il est en effet très facile de créer un média amateur, mais également de participer à l’information de la population à travers les réseaux sociaux, sans la moindre qualification journalistique et avec peu de moyens. L’explosion de la création des blogs dans les années 2010 a également bouleversé le statut des médias, presque exclusifs détenteurs et diffuseurs de l’information en ces temps. Aujourd’hui, ces blogs continuent à poser beaucoup de questions et suscitent parfois l’indignation chez les journalistes et la confusion chez le public. Michel Mathien parle dans ce cas de « nanojournalisme » (Mathien, 2010), c’est-à-dire un journalisme à petite échelle, souvent peu développé, amateur et, selon Mathien, de piètre qualité. Parfois, certaines informations sont diffusées par des amateurs, les « nouveaux barbares de l’information en ligne » (Laimé, 1999) sous l’aspect de véritables informations médiatiques mises en forme par des journalistes professionnels. Selon Mathien, cela induit une concurrence, empêchant les professionnels de pratiquer « l’authentification et la vérification des faits, deux principes fondamentaux de toute production journalistique au sein des médias » car ils se trouvent désormais « dans l’urgence de la compétition et des impératifs horaires » avec les amateurs (Mathien, 2010). De son côté, Pauline Amiel appelle cela le « brouillage du discours » dans son ouvrage au sujet du journalisme de solution (Amiel, 2020, p. 63). En d’autres termes, l’effacement de la frontière entre journaliste professionnel et journaliste de profession, que le public ne parvient plus à distinguer correctement. Allant plus loin, Amiel considère que certains médias non reconnus comme professionnels, c’est-à-dire les médias « non recensés par la CPPAP » (Amiel, 2020, p. 63), parasitent le travail des médias reconnus.

Mais si les médias amateurs sont classés par Mathien dans ce « nano-journalisme », où est la frontière entre les deux ? Le cas d’Hugo Travers, jeune vidéaste d’abord amateur, illustre bien cette interrogation. Dès 2012, il fonde son premier web média, Radio Londres, puis trois ans plus tard, fonde la chaîne YouTube Hugo Décrypte . Chaque jour, il y présente en une dizaine de minutes l’actualité nationale et internationale en tentant de vulgariser l’actualité et l’information pour la rendre à la portée de tous. Sa chaîne rencontre un franc succès, si bien qu’il obtient l’opportunité d’interroger plusieurs candidats à l’élection présidentielle de 2017. Depuis plusieurs années, il mène donc un travail semble-t-il journalistique sur les nouvelles plateformes numériques. Lors d’un entretien avec Le Monde en septembre 2021, il expliquera ne pas être encore titulaire de la carte de presse. Pourtant, la journaliste autrice de l’article écrit que « la chaîne, devenue média généraliste, devrait prochainement obtenir le statut d’entreprise de presse et son fondateur, la carte de presse. » (Iribarnegaray, 2021). Faut-il alors considérer le jeune Hugo Travers, initialement citoyen “lambda” comme un journaliste, alors qu’il travaille aujourd’hui dans un média qu’il a lui-même fondé ? Selon certains analystes, le travail d’Hugo Travers n’est pas révolutionnaire. Plusieurs analyses, dont celles d’Arrêt sur Images en 2022, montrent que derrière ses productions modernes, on retrouve chez Hugo Travers les codes journalistiques traditionnels (Guémart, 2022). Ses interviews des candidats à la dernière présidentielle ont suscité un vif intérêt des internautes : ambiance sombre mais décontractée, sourires, buzzer pressé par les interviewés pour « tirer aléatoirement » des questions (Arrêt sur Images expliquera que cette action n’avait en vérité aucun effet sur l’ordre d’arrivée des questions qui était prévu bien en amont). Toutefois, le Youtubeur mène un long travail de préparation et ses interviews finales tendent à démontrer ses efforts de neutralité et d’objectivité, ce qui est traditionnellement demandé aux journalistes par les règles déontologiques en vigueur. Où est donc la frontière entre amateurisme et professionnalisme ?

Si l’auteur d’un article, même amateur, respecte les règles traditionnellement appliquées par le journalisme, cela ne semble pas poser de problème, du moins pour le public. Dans le cas contraire, ces auteurs “clandestins” peuvent porter un grand préjudice à l’image de la profession de journaliste, discréditée ensuite. Pour Dominique Wolton, il est impératif de pouvoir faire la différence entre une information traitée par un journaliste de profession d’une information diffusée par un amateur indépendant, distinction « indispensable pour l’avenir de l’information » (Wolton, 2003). Si un appel plus important aux scientifiques et aux universitaires parait conditionner le journalisme professionnel pour Wolton, le chercheur semble supposer du point de vue des récepteurs suppose que tout public est capable de distinguer les médias amateurs des médias professionnels (Wolton, 2003). Au sein même de la communauté scientifique, la question du Toutes et tous journalistes reste un point de discorde.

La formation journalistique

En France, la formation journalistique n’est pas réellement réglementée. Mais selon de nombreux chercheurs, dont Julien Duval, bien que géographiquement situées sur des zones totalement différentes et faisant intervenir des journalistes et professeurs de tous horizons, les formations en journalisme sont souvent conditionnées à un capital social relativement élevé. Géraud Lafarge et Dominique Marchetti parlent d’ailleurs d’« une socialisation assez uniforme à l’exercice de la profession » et d’un recrutement « marqué par une forte homogénéité sociale » (Duval, 2020). La seule réglementation officielle actuelle est l’existence d’une dichotomie entre “écoles reconnues” et “écoles non reconnues” venant compliquer davantage l’accession à la profession.

Formations reconnues / non reconnues

Le pan des écoles “réglementées” est représenté par l’ensemble des écoles de journalisme dites “reconnues par la profession”. Lorsque l’on emploie ces termes, cela signifie “reconnues par un organisme” : la Commission Paritaire Nationale de l’Emploi des journalistes (CPNEJ), instaurée en 1976. Sa composition est légiférée par la Convention collective nationale des journalistes, qui impose que la CPNEJ soit composée d’« un représentant de chacun des syndicats représentatifs de journalistes et un nombre égal de représentants patronaux. » (Convention collective nationale des journalistes, 1976). Cette commission a établi une charte de critères de reconnaissance des écoles, mentionnant dix critères à respecter par les établissements supérieurs pour que sa formation soit dite “reconnue” par la profession (CPNEJ, 2008). À ce jour, quatorze écoles de journalisme sont, à ce titre, reconnues par la profession, dont cinq sont situées à Paris. Les autres sont situées dans des villes relativement importantes, telles que Strasbourg, Cannes, Marseille, Toulouse, Tours, Lille, Échirolles (Grenoble), Bordeaux ou encore Lannion.

De nombreuses autres formations ont toutefois fait leur apparition au cœur de ce paysage élitiste, permettant également de se former au journalisme, mais dans des structures dites “non reconnues”, en théorie moins appréciée des recruteurs au sein du milieu journalistique, mais surtout parce que le passage par une école reconnue permet d’accéder à un “réseau” professionnel : les directeurs et enseignants d’écoles reconnues ont souvent de bonnes relations avec le monde médiatique, en sont parfois issus personnellement, ce qui favorise ensuite l’accès à un emploi aux étudiants recommandés par l’école, rendant le passage par une formation reconnue « décisif dans l’accès au marché » (Marchetti, 2003).

Un conditionnement à l’origine sociale des journalistes

Ces différentes formations en école de journalisme permettent de faire un lien non négligeable avec l’identité sociale des journalistes. En effet, de plus en plus de journalistes professionnels (titulaires de la carte de presse) proviennent d’écoles (Lafarge, 2018), et le plus souvent reconnues par la profession. En 2008, 62 % des titulaires de la carte de presse viennent d’une école de journalisme, contre 33,2 % en 1998 (Lafarge & Marchetti, 2011, p. 73). De plus, selon les données de l’Observatoire des métiers de la presse , si seuls 12 % des journalistes dotés d’une carte de presse avaient suivi un cursus reconnu par la profession en 2000, ce chiffre n’a cessé de croître pour atteindre les 20 % en 2019, dernières données en date. Cela peut notamment s’expliquer par la rude concurrence que connaissent les étudiants en journalisme et le nombre de demandes croissantes pour intégrer ce métier qui attire. Cela en dit long également sur le profil social des journalistes : si de plus en plus de journalistes proviennent d’écoles, les différents travaux sur ces institutions de formation au journalisme peuvent nous permettre de brosser un portrait social de la profession.

Pour intégrer les écoles, tous les candidats à l’admission sont aujourd’hui invités à passer un concours, composé d’une ou plusieurs épreuves, qui ont un coût économique pour les futurs étudiants, imposant ainsi de disposer d’un capital économique important, puisqu’« au coût non négligeable des dépenses liées aux concours eux-mêmes s’ajoutent les droits d’inscription à la formation ainsi que le budget d’une “délocalisation” par rapport au lieu de résidence d’origine. » (Lafarge & Marchetti, 2011, p. 78). Mais si disposer d’un capital économique est souvent nécessaire, disposer d’un fort capital culturel et scolaire semble plus important (Lafarge, 2018, p. 24). En effet, « 76,5 % des étudiants des formations reconnues sont titulaires d’un diplôme égal ou supérieur à une licence » (Lafarge & Marchetti, 2011, p. 76), à titre d’exemple. Et nous l’avons vu précédemment, les écoles reconnues sont majoritairement privilégiées par les grands médias réputés. Aussi, alors que la presse écrite régionale recrute plutôt des étudiants à capitaux culturel et scolaire plus faibles, la radio attire les diplômés des Instituts d’Études Politiques et quelques étudiants en bac + 2 minimum (Lafarge, 2018, p. 21). De façon plus précise, Radio France, « plébiscitée par les étudiants […] attire les plus dotés scolairement » (Lafarge, 2018, p. 21). Et l’arrivée des étudiants dans les grands médias nationaux préférés par les jeunes journalistes sont conditionnés aux types de médias desquels ils proviennent : quand 7 % des étudiants ayant travaillé dans un média de presse écrite intègrent un de ces grands médias, c’est 40 % pour les étudiants provenant de la radio et 77 % pour ceux provenant du web (Lafarge, 2018).

Enfin, la situation géographique et le lieu d’habitation semblent jouer un rôle important dans cette sélection professionnelle. En effet, le fait d’être originaire de Paris intra-muros ou de la région Île-de-France parait être un facteur jouant sur l’intégration des écoles prestigieuses, et donc de la profession (ou tout du moins d’une bonne place au sein de cette dernière). D’ailleurs, la région Île-de-France concentre 65 % des journalistes français (Leteinturier & Mathien, 2010).

En définitive, les étudiants disposant d’un capital scolaire ou d’un capital économique moins élevé (les étudiants ayant un bac ou un bac + 1 et les étudiants boursiers) sont moins nombreux à se maintenir dans la profession : 74 % y restent, contre 85 % pour les « classes aisées » (Lafarge, 2018, p. 20). Par conséquent, le niveau de diplôme semble être le facteur qui pèse le plus dans l’accession aux “hautes sphères” de la profession, suivi de la CSP du père et du lieu de résidence des parents (Lafarge & Marchetti, 2011, p. 80). Ainsi, disposer de hauts capitaux économique, scolaire et culturel, ainsi qu’une domiciliation en région parisienne semble conditionner de plus en plus l’accès à la profession journalistique, ce qui en dit long sur le devenir de plus en plus marqué du profil des journalistes.

La profession de journaliste est de plus en plus difficile à cerner. Les définitions lexicales permettent de poser une bonne base mais ne sont pas suffisantes. La définition conditionnelle à la carte de presse permet de distinguer les journalistes professionnels des journalistes non-professionnels qui pratiquent toutefois une activité journalistique. Enfin, la définition à travers les fonctions a permis de voir que le journaliste est, en pratique, plus fréquemment défini à travers les fonctions qu’il assure. La formation journalistique, quant à elle, conditionne de plus en plus l’accès à la profession, ou en tout cas aux postes prestigieux de la profession. Leur coût élevé et leurs conditions d’accès “filtrent” leur entrée, que seuls les profils disposant de capitaux sociaux importants peuvent franchir, ce qui donne une bonne idée du profil social, si ce n’est des journalistes qui exercent à ce jour, au moins des nouveaux entrants dans la profession.


Sources utilisées dans cet article :
  • Amiel, P. (2020). Le journalisme de solutions. Presses Universitaires de Grenoble.
  • Article L7111-3 du code du Travail. (2008, mai 1). Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006189947
  • CCIJP. (2022). Cartes de presse attribuées en 2021. CCIJP. http://www.ccijp.net/article-192-statistiques.html
  • Charon, J.-M. (2007). Le journalisme (Nouvelle éd). Éd. Milan.
  • CPNEJ. (2008). Accord portant définition de critères de reconnaissance. CPNEJ. http://www.cnmj.fr/wp-content/uploads/CriteresreconnaissanceCPNEJ.pdf
  • CNRTL. (s. d.-b). Journalisme. In CNRTL. Consulté 26 décembre 2021, à l’adresse https://www.cnrtl.fr/definition/journalisme
  • Duval, J. (2020). Les journalistes font-ils leur travail ? In 50 questions de sociologie (p. 409 à 416). Presses Universitaires de France.
  • Eustache, S. (2020). Bâtonner : Comment l’argent détruit le journalisme. Amsterdam
  • Guémart, L. (2022, avril 23). Présidentielle : On a décrypté « HugoDécrypte ». Arrêt sur images. https://www.arretsurimages.net/articles/presidentielle-on-a-decrypte-hugodecrypte
  • Iribarnegaray, L. (2021, septembre 22). « HugoDécrypte » et sa petite entreprise. Le Monde. https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/09/22/hugo-decrypte-et-sa-petite-entreprise_6095649_4401467.html
  • Kucinskas, A. (2019, avril 24). Le journaliste et le mythe de la carte de presse. L’Express. https://www.lexpress.fr/actualite/medias/le-journaliste-et-le-mythe-de-la-carte-de-presse_2074622.html
  • Lafarge, G. (2018). Le champ journalistique et l’espace des écoles de journalisme. Savoir / Agir, 4(46), 17 à 25.
  • Lafarge, G., & Marchetti, D. (2011). Les portes fermées du journalisme. L’espace social des étudiants des formations « reconnues ». Actes de la recherche en sciences sociales, 189(4), 72‑99.
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  • Leteinturier, C., & Mathien, M. (2010). Une profession fragilisée : Les journalistes français face au marché de l’emploi. Quaderni, 73, 97 à 114.
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  • Mercier, A., Champagne, P., Charron, J., Charon, J.-M., Leteinturier, C., Riutort, P., & Wolton, D. (2009). Le journalisme. CNRS éd.
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