Pratiques journalistiques

Faire relire ses articles avant parution : bon réflexe ou mauvaise habitude ?

Dans l’exercice journalistique, la relecture par l’interviewé est une question que chaque journaliste ou journaliste en devenir, peut se poser. Faut-il, oui ou non, envoyer son article/sa production pour relecture ou vérification avant de publier ?

Publié le 13 décembre 2021

« Je veux bien répondre à vos questions, mais je voudrais relire l’article avant parution ! ». Quel journaliste n’a pas déjà entendu cette phrase de la part de personnes interviewées pour des sujets très divers ? Tous, y compris les journalistes amateurs comme moi, ont été confrontés à cette problématique. La première fois, je n’ai pas su quoi y répondre. À l’époque, j’étais correspondant pour l’Est Républicain, et on m’a fait cette demande pour un papier sur un sujet culturel banal. La rédaction de la locale m’avait conseillé de le donner à relire : preuve que la demande n’était pas complètement idiote et incongrue.

En 2012, un article de Libération expliquait pourtant que le New York Times avait décidé de ne plus accorder d’interview à ceux qui souhaitaient les relire avant parution. L’article met en avant les questions de spontanéité et de « perte des aspérités » de l’article lors d’une relecture. En 2018, c’était au tour de La Voix du Nord. L’AFP estime, elle, que « par principe, les interviews, comme les autres dépêches contenant des citations, ne sont pas relus par nos interlocuteurs ». Enfin, dans sa charte d’éthique, le journal Le Monde précise que l’équipe de rédaction refuse la relecture dans la majorité des cas. « Les interviews publiés sous forme “Questions-réponses” ne doivent pas être relus par les personnes interrogées, ou alors dans le seul but d’éviter toute erreur factuelle ou de compréhension. Si la personne interrogée modifie substantiellement la teneur de ses propos, l’auteur de l’interview peut, avec la direction de la rédaction, refuser de publier l’entretien ».

Je ne suis pas si tranché, et j’imagine qu’il y a deux écoles. Avec le recul, je pense que donner son papier pour relecture n’est pas une si mauvaise chose quand les conditions le nécessitent. Je vous explique pourquoi et dans quels cas, selon moi, la relecture est justifiée.

Uniquement l’interview

D’abord, il me semble fondamental de se fixer cette première condition : la personne interviewée peut relire ses citations ou plus généralement son interview. Pas l’article intégral. Lors de l’envoi pour relecture à la personne concernée, il faut donc isoler seulement l’interview, puisque le reste n’est pas directement lié à ce qu’elle nous a expliqué/confié. C’est d’ailleurs le principe qu’imposait l’AFP en 2010, selon l’Abécédaire de l’AFP : « Si l’interviewé souhaite relire ses réponses, en raison de leur technicité, par exemple, nous pouvons exceptionnellement accepter de donner à relire les citations de l’intéressé, mais non le papier complet ». Mais, selon moi, la relecture de l’interview ne doit pas être systématique. Il faut connaître les cas dans lesquels elle est pertinente, et là où elle n’est pas utile, voire contreproductive.

Pour vérifier des données techniques

Le premier cas est celui que nous pourrions appeler la relecture technique. Elle est utile et justifiée, autant pour la personne interviewée que pour le/la journaliste. Lorsque vous devez écrire un papier sur la thématique de la médecine ou une nouvelle innovation technique, par exemple, la personne avec laquelle vous échangerez sera très probablement plus renseignée que vous sur le sujet (c’est le but de l’interview !). Parfois, elle ne fera pas forcément d’effort de vulgarisation et vous donnera des termes techniques. S’il faut les éviter dans les productions journalistiques la plupart du temps, il peut être intéressant d’en citer quelques-unes (un chiffre, un modèle, une référence). Et même dans le cas d’un papier plus « simple », il peut parfois y avoir un nom de famille que vous avez mal compris, une date mal notée…

L’erreur est humaine et peut vite arriver ! Dans ce cas, la relecture technique peut être utile. Elle vous évitera de mettre en ligne des erreurs, des approximations ou des raccourcis, pour être toujours plus justes et précis. Cette relecture assurera également à la personne interviewée que vous avez bien compris de quoi elle parlait et que vous n’avez pas déformé ses propos. La plupart du temps, cela permet d’éviter les conflits, du genre : « Je vous avais dit ceci, pas cela ! »

Pour les sujets sensibles

Le deuxième cas serait celui que nous pourrions appeler celui du « sujet sensible ». Très souvent politique, économique ou social, le sujet sensible porte souvent sur une crise, ou ce qu’on nomme couramment une « affaire » (l’affaire des écoutes, l’affaire Bygmalion, l’affaire Hulot, etc.) Dans ce cas, les personnes qui témoigneront auront l’impression (et souvent à juste titre) qu’elles marchent sur des œufs lorsqu’elles s’expriment publiquement face aux médias. Elles voudront donc maitriser leur discours afin d’éviter toute retombée négative sur elles-mêmes (licenciement, avertissement, pressions…). Dans ce cas, la relecture peut leur permettre de changer un mot qui pourrait fâcher. Évidemment, il y a des limites à cette pratique, mais si l’élément en question n’apporte pas grand-chose de concret à votre article, il me semble inutile de jeter de l’huile sur le feu et de mettre votre source en porte-à-faux.

Idem pour les personnes que vous interviewerez et qui souhaiteront rester anonymes. Afin de garantir leur anonymat, elles désireront peut-être avoir un droit de regard avant parution, afin d’être certaines qu’on ne peut pas les reconnaître. Lorsque l’article porte sur un sujet très problématique, les craintes des personnes interviewées sont souvent fondées et compréhensibles. Une petite relecture, si elle ne dénature pas votre article, ne fait pas de mal, sachant que vous conserverez toujours la maitrise de ce que vous publierez. L’intérêt étant juste de respecter vos sources anonymes et de conserver de bonnes relations avec elles.

Uniquement sur les données et les citations

Bien évidemment, j’ai déjà effleuré la question plus tôt dans cet article, il faut toujours que la relecture porte sur des données techniques de l’interview ou, à la rigueur, des éléments de citation. Quelquefois, certaines personnes interviewées reliront votre interview et vous renverront un article complètement modifié. Formulations, verbes, organisation de votre article : il pourrait bien être méconnaissable. Un mot, une attitude : non, refuser. Le journaliste connait son métier, il a sa personnalité et sa façon d’écrire. L’article ne doit pas être écrit par un contact ou une tierce personne, mais par lui-même. Sinon, quel intérêt de missionner un journaliste pour faire une interview, si la personne interviewée fait les questions, les réponses, et le compte rendu de l’interview ? Aucun !

Lors de l’envoi en relecture, il peut donc être bon de toujours préciser à son contact qu’il s’agit évidemment d’une relecture sur des données techniques ou des formulations de citation. Tout le reste, ce qui est la plume du journaliste, reste la plume du journaliste. Il me semble impératif d’être intransigeants à ce sujet.

Imposer des délais

Un conseil, plus technique, est de toujours imposer des délais de relecture et de retour à vos contacts. Si vous envoyez un article en demandant à une personne de vous faire un retour dessus avant parution, soyez conscients que vous ne l’aurez pas avant quinze jours, dans la majorité des cas. Une date de publication étant bien souvent prévue en amont, parce que le média l’a décidé ainsi ou parce que le sujet est dans l’actualité chaude, pensez à donner une deadline à votre contact.

« Voici l’interview. La parution étant prévue pour DATE DE PARUTION, merci de bien vouloir me faire un retour avant DEADLINE. Sans réponse de votre part, je serais obligé(e) de faire paraître l’article en l’état » est une formulation qui me semble appropriée pour ce cas.

Le droit de réponse

Si, après maintes relectures, vous ne parvenez pas à vous mettre d’accord avec votre contact, faites paraître ce qui vous semble le mieux, en accord avec votre rédaction en chef et/ou direction de publication. La personne interrogée aura toujours une possibilité inscrite dans la loi : le droit de réponse. En vigueur depuis la loi sur la liberté de la presse de 1881, l’article 13 permet à toute personne citée dans un journal de publier une réponse à cet article dans la même publication.

« Le directeur de la publication sera tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien »

Art. 13 de la loi du 29 juillet 1881

Une personne interviewée mécontente aura donc cette possibilité pour exprimer son désaccord face à l’interview qu’un journaliste a pu mener et relater dans un article.

À la radio

Dans le cas des contenus radiophoniques, il est difficile de parler de relecture. Peut-être parle-t-on dans ce cas de « pré-écoute avant diffusion » ? Qu’importe, le cas semble être le même que pour la presse écrite : la relecture, oui, mais pour des données techniques ou dans le cadre d’un sujet sensible.

Pour Jean-François Fernandez, journaliste pour France Bleu, la réécoute peut être utile, mais seulement dans certains cas. « Il m’arrive d’envoyer mon reportage en MP3 avant diffusion, juste pour être certain qu’il n’y a pas de contresens ou de mauvaise interprétation de ma part. En plus de 30 ans de métier jamais on ne m’a demandé de réécriture », m’explique-t-il.

Conclusion

Si vous ne souhaitez pas donner votre article à relire, ça peut être un choix. Le vôtre ou celui du média pour lequel vous travaillez. Gardez néanmoins toujours à l’esprit qu’un papier relu paraît plus sereinement, car votre interlocuteur sait à quoi s’attendre. S’il ne l’a pas relu, il peut se sentir vexé, humilié, atteint, et vous pourriez perdre cette relation précieuse. Une fois que c’est en ligne ou pire, imprimé, c’est trop tard !

Alors pensez toujours à la relecture de manière bienveillante et comparez toujours ce que vous renvoie votre contact, pour être certain que des éléments fondamentaux ne soient pas complètement transformés. Quoi qu’il en soit, vous restez toujours maitre de votre papier et sa forme finale.