État du journalisme

Journalistes d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Les débuts du journalisme remontent au XVᵉ siècle. Depuis, le métier a fait du chemin, et s’est adapté aux nouvelles formes de médias. Vue d’ensemble du journalisme d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Publié le 23 mars 2021

Avant-propos

Pour retracer l’histoire du journalisme et en analyser les évolutions, je me suis aidé de plusieurs ouvrages et travaux déjà existants, notamment Les Journalistes sont formidables (Morel & Salvator, 2019) et L’Écriture Journalistique (Mouriquand, 2015). D’autres sites web sont venus m’aider à parfaire cet essai à l’aide de données, de citations ou d’informations complémentaires. Un travail réalisé dans le cadre d’un cours de journalisme à l’université.

Quelques repères

Peut-on vraiment dater le début du journalisme ? À vrai dire, c’est assez compliqué. Très tôt dans l’histoire, les hommes communiquaient et échangeaient de l’information. Mais c’est l’invention de l’imprimerie en 1438 qui marque un tournant dans l’histoire de la presse. Grâce à elle, enfin, des journaux peuvent être édités. On commence alors à publier[1] l’information.

Évidemment, en juillet 1881 arrive la loi sur la liberté de la presse, avec notamment son premier article « L’imprimerie et la librairie sont libres » (Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, s. d.). Une grande révolution, qui vient compléter le droit, pour tout citoyen, de « parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen (Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’homme et du citoyen, 1789).

Dans le même temps, autour des années 1900, Reginald Fessenden parvient à diffuser du son grâce aux ondes radios. On découvre qu’il est possible d’y communiquer des messages militaires sur de grandes distances, mais aussi d’utiliser ce moyen révolutionnaire pour informer et divertir.

En 1949 est diffusé en France le premier journal télévisé. C’est alors le début du journalisme à la télévision, auparavant réservé aux speakers/speakerine et aux films et séries.

En 1958, Europe 1 offre à ses auditeurs une place de choix : celle d’intervenants. Ils échangent avec les journalistes et les invités, partagent leurs opinions… Sans le savoir, la première radio à mettre en place ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui une libre antenne a donné un avant-goût des réseaux sociaux, qui arriveront une quarantaine d’années plus tard.

En 1989, c’est l’invention du World Wide Web. Une petite révolution, qui donne vraiment son sens à une technologie inventée quelques temps plus tôt : l’Internet. Grâce à cette nouvelle trouvaille, on permet au monde entier (ceux qui sont équipés, dans un premier temps) de communiquer en réseau. Bien sûr, à cette époque, ça n’est pas l’Internet que nous connaissons aujourd’hui, mais c’est celui qui changera la donne et imposera au monde médiatique, et de ce fait journalistique, une puissante révolution dès 1996.

En 2012 arrivent les premiers médias incarnés à 100 % par les réseaux sociaux : pas de site, pas de publication papier. A l’image de Brut ou de Konbini, ces nouveaux médias se servent des nombreux abonnés et utilisateurs des plateformes sociales pour faire leur trou et séduire et un public relativement jeune.

Bref, on l’aura compris : le journalisme s’est progressivement installé au fil des inventions techniques et technologiques sur différents supports. Et bien évidemment, il a fallu que les personnes incarnant cette profession s’adaptent. Aujourd’hui, le journaliste radio n’est plus celui qu’il était dans les années 60. Idem pour le journaliste de presse écrite et même celui de télévision. Un mot est entré dans l’histoire et dans leur quotidien : le plurimédia.

L’évolution des pratiques journalistiques

Les bouleversements technologiques que connait continuellement la société obligent les journalistes à s’adapter en permanence, et notamment à adapter leurs pratiques et façons de travailler. Avec le numérique, la concurrence est rude et les anciens médias n’ont pas le droit à l’erreur. S’ils veulent subsister, il va falloir vivre avec son temps.

L’évolution des supports

L’arrivée rapide des différentes technologiques numériques dans les années 90 pousse la presse écrite à la métamorphose et à une rapide transition, ou tout du moins une utilisation du numérique. La première à y croire, selon Morel et Salvator. Mais cette décision divise : les patrons de presse croient au numérique, pas les journalistes. Pourtant, en 1996, un grand nombre de titres de presse écrite lancent leur plateforme numérique. Au départ, plusieurs médias mettent à disposition gratuitement sur leur site internet ni plus ni moins que les articles que le lectorat paye en achetant la version papier. Une aberration. En 2002, Le Monde rend alors payant une partie de ses contenus numériques, suivi par plusieurs autres titres. Une partie de la presse écrite devient alors numérique. Les journalistes ajoutent alors les mots « référencement », « SEO », « liens hypertextes » et « taux de rebond » à leur jargon quotidien.

De la même manière, la radio change également ses pratiques. Rapidement dotées de site web, certaines antennes deviennent depuis 2013 des antennes filmées. Le PDG du groupe NextRadioTV[2] Alain Weil a l’idée de téléviser ses programmes diffusés sur la radio BFM. Les sujets commencent alors à être conçus à la fois pour la radio et pour la télévision. On doit y ajouter de belles images, des titres, des légendes. Depuis le début 2019, c’est au tour des locales du réseau Radio France, les 44 France Bleu, de se mettre progressivement aux matinales communes avec leurs homologues télévisuelles France 3. Les journalistes radios font alors de la télévision : ils sont maquillés, filmés et doivent adopter une gestuelle particulière à l’antenne, là où l’apparence était le cadet de leurs soucis il y a une dizaine d’années.

Ils s’appellent Brut, Konbini, Melty ou encore Vice. En 2012, ce qu’on appelait auparavant les nouveaux médias émergent. Ils sont virtuels, 100% numériques, et n’ont aucune concrétisation physique, si ce n’est les locaux de leur rédaction et les serveurs qui hébergent le site. Ils sont principalement adressés aux jeunes et nécessitent évidemment moins de moyens. Et c’est probablement le journalisme de demain. Nul besoin d’avoir de publications papiers ou un réseau d’antennes hertziennes coûteuses pour diffuser du contenu. En quelque clic, un site web est créé, accompagnés de comptes sur les réseaux sociaux, et tout commence.

Un changement de matière et de forme

Mais plus qu’un changement de support, c’est une métamorphose viscérale qui s’est imposée pour les médias. Auparavant, la presse écrite se contentait de donner à voir les faits d’actualité. « Voilà ce qu’il s’est passé », disait-elle. Aujourd’hui, ça n’est plus possible sans avoir un train de retard sur le numérique. Alors elle s’attèle maintenant à travailler sur des articles et des enquêtes de fond. « La vocation d’un quotidien n’est plus de faire découvrir l’actualité, mais de sélectionner et de décrypter », disait Étienne Mougeotte, grand patron de presse, ayant notamment été vice-président du groupe TF1, directeur des rédactions du Figaro ou encore directeur général de Radio Classique. Aujourd’hui donc, la presse écrite, c’est l’enquête, la révélation, le reportage. Le commentaire à chaud est maintenant le terrain de l’audiovisuel (la télévision, la radio et le numérique). Dans cette lignée, les articles de presse écrite qui sont au début des années 2000 présentés sous forme d’articles courts et de brèves deviennent en 2006 des articles longs et étoffés.

Aujourd’hui, le plus important, c’est l’image. La photo, la vidéo. Il y a plusieurs années, l’image était là pour rendre une publication esthétique. Elle avait « fonction d’illustration » (Mouriquand, 2015). La photo s’adaptait au texte, et on l’insérait « s’il y a de la place ». « Coupe la photo pour rentrer le texte » (Mouriquand, 2015), disait-on dans la plupart des rédactions. Aujourd’hui, la tendance est complètement inversée : on coupe le texte pour rentrer l’image ! L’outil phare du journaliste est aujourd’hui son smartphone (ou sa caméra / son appareil photo), plutôt que sa plume. Et évidemment, l’arrivée du web a précipité les choses, car les internautes sont de plus en plus demandeurs de visuel. Certains, même, fournissent des images, ensuite diffusées par les plus grands médias. Dans la forme, les articles enrichis de contenu priment aujourd’hui sur les articles plus classiques. On veut de l’image, de la vidéo, mais aussi du son, des infographies, des liens.

Et pour se faire une place sur le web, certains types d’articles doivent désormais être privilégiés. Dans certaines rédactions où le web est si important, il est même courant qu’on écrive des articles aux sujets tout droit issus de Google Trends (liste des mots-clés les plus recherchés dans Google). Et ce qui marche aujourd’hui, c’est l’insolite : une robe qu’on ne voit pas de la même couleur, la suppression de la couleur verte des stylos à bille Bic… Ça, ça clique ! Beaucoup plus que le papier lourd et ennuyeux sur les dernières déclarations de Jean Castex. Alors continuellement, le journaliste s’adapte.

Le changement des méthodes de travail

Ces changements forcés de formes et de supports ont mis du temps à être acceptés par les rédactions d’information. Jusqu’en 2011 d’ailleurs, les services web et papier seront séparés physiquement, chacun dans un espace différent. Mais les responsables ont vite compris qu’il était nécessaire de faire travailler les deux services main dans la main, voire n’en faire plus qu’un.

Et en raison des changements du métier, certains journalistes adaptent leurs méthodes de travail. A commencer par leur présence sur le terrain, plus tout à fait équivalente à celle de l’époque. Aujourd’hui, tous les rédacteurs web ne sont plus forcément sur le terrain, et peuvent passer d’un sujet à un autre, même si tout les sépare. Faute de travail d’investigation et d’enquête sur le terrain, ces reporters nouvelle génération ont ainsi tendance à reprendre mots pour mots les dépêches d’agences de presse, qui ne seront pas plus étoffées que ça la plupart du temps. « Le bâtonnage est devenu quasi obligatoire pour les rédactions généralistes web. Le principe : réécrire une dépêche fournie par une agence […] en la remaniant légèrement si on a le temps », explique Vice dans un sujet sur la mort du journalisme (Reix, 2020), inspiré d’un ouvrage de Sophie Eustache.

Malgré ces négligences, la course à l’audience et au clic, elle, est bel et bien là. Morel et Salvator nous l’apprendrons d’ailleurs davantage dans leur ouvrage Les Journalistes sont formidables mais d’autres articles l’attestent aussi : le Washington Post et la plupart des grandes rédactions ont intégré à leurs bureaux depuis quelques années des écrans, sur lesquels s’affichent en temps réel les scores d’audiences et de consultation des articles web par auteur. Une carotte, pour inciter les collaborateurs à rédiger des papiers qui seront lus, consultés et repartagés, au risque d’être moqués si les attendus n’étaient pas comblés et satisfaits. « De quoi alimenter les conversations [à la machine à café] », se désole Justine Reix. Le changement des pratiques est aussi très marqué par le principe du bimédia. Aux prémices des médias, chaque journaliste avait sa spécialité : le journaliste radio parlait dans un micro, le journaliste de télévision passait devant la caméra et le journaliste de presse écrite écrivait. Le numérique change un peu la donne. On impose aux nouveaux journalistes d’être bimédia (voire trimédia ou quadrimédia), c’est-à-dire de maitriser à la fois les techniques de la presse écrite, mais aussi celles du web par exemple. Pas questions aujourd’hui d’entrer chez Le Monde, Libération, Le Figaro ou même dans des titres de presse locale sans avoir de notions de web ! Aujourd’hui, ce sont les journalistes de presse écrite qui écrivent pour le web. Même les écoles de journalisme forment aujourd’hui au bimédia, à en croire certaines formations proposées par l’ESJ de Lille[3].

Un principe bien ancré : l’indépendance des journalistes

La chose qui est là, bien ancrée, et qui n’a pas vraiment évolué, si ce n’est en mieux, c’est le principe d’indépendance des journalistes. Pourtant, l’inquiétude des journalistes et du public est grande. Auparavant détenus par des patrons de presse, une grande partie des médias français sont aujourd’hui détenus partiellement ou totalement par des investisseurs et des hommes d’affaires, parfois même étrangers. L’homme d’affaire tchèque Daniel Kretinsky détient aujourd’hui une partie du Monde (sans mauvais jeu de mot !), le Crédit Mutuel (secteur bancaire) détient tous les titres de presse écrite de l’est de la France (l’Est Républicain, le Progrès, les DNA, le Bien Public…), la famille Bouygues (secteur des télécommunications) détient les chaînes du groupe TF1, et la famille Dassault (secteur de l’aviation) détient l’intégralité du Figaro (Fabre et al., 2020). En 2013, le patron d’Amazon Jeff Bezos a même racheté le Washington Post. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.

Avec l’entrée des hommes d’affaires au capital de grands titres de presse, les journalistes jusque-là totalement indépendants, ont eu la crainte d’une intervention des investisseurs sur le contenu éditorial. Pourtant, à en voir l’évolution des médias, on constate qu’il n’y a pas vraiment eu d’interventions sur le contenu. Selon Morel et Salvator, on constate même en réalité que les rédactions d’information ont gagné en indépendance au fil du temps.

Il n’empêche que la publicité et le manque de moyens pourraient aujourd’hui faire pencher la balance dans l’autre sens, car sans publicité, la plupart des titres ne pourraient pas survivre aujourd’hui. Les publicitaires pourraient ainsi user de chantage, menaçant un titre du retrait total de sa publicité si tel ou tel papier le décrédibilisant venait à paraître.

Une économie en dent de scie

C’est d’ailleurs ce sujet indispensable que nous allons maintenant évoquer, car les différents médias ne sont pas tous logés à la même enseigne en termes de financement et de situation financière.

De manière générale, l’information aujourd’hui coûte cher : une réalisation de reportage implique des coûts de matériel (caméras, micros), des coûts humains (preneurs de son, journalistes, caméramans), des coûts énergétiques (essence, électricité) et même des coûts temporels (pendant qu’un journaliste est en reportage, il n’est pas ailleurs). Et pourtant, au vu de l’abondance des médias gratuits[4] , on constate que le public est de moins en moins enclin à payer pour obtenir une information de qualité. Les chiffres 2021 relevés par l’ACPM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias) sont édifiants : 2 934 000 lecteurs du quotidien gratuit 20 Minutes, contre 2 385 000 lecteurs de l’historique quotidien Le Monde (Classement audience presse quotidienne nationale 2021, 2021) & (Classement audience presse gratuite d’information 2021, 2021). Et les revenus publicitaires baissent également. À audience équivalente, la pub coûte aujourd’hui moins cher à afficher sur le web qu’à imprimer dans le journal ou à diffuser à la radio. De manière générale, selon le Baromètre unifié du marché publicitaire et Le Monde, les revenus publicitaires ont chuté de 12,6 % en 2020 (Lumineau, 2020).

En conséquence, la plupart des rédactions privilégient aujourd’hui l’information à pas cher, les « sujets qui ‘’ne coûteront rien’’ », écrivait Jacques Mouriquand dans L’Écriture Journalistique (Mouriquand, 2015). C’est en presse écrite que la situation économique est la plus catastrophique. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de place dans la presse papier : le papier coûte cher, les ventes au numéro chutent d’année en année, et les lecteurs ont peu d’intérêt pour les textes longs.

Alors forcément, les journalistes doivent adapter leurs méthodes de travail aux économies demandées. Ainsi, ils vont moins sur le terrain, doivent fournir toujours plus de travail et cela en un minimum de temps.

Un quotidien tumultueux, mais un attrait du métier

La défiance du public face au journalisme

L’enjeu aujourd’hui, c’est de redonner au public le goût de l’information fiable et vérifiée, et donc par ce biais, le goût du journalisme. Les journalistes font face aujourd’hui à une grande défiance du public, et nombreux sont ceux aujourd’hui qui préfèrent s’informer par eux-mêmes, plutôt que d’écouter les « journalopes » ou les « merdias ». Le quotidien La Croix publie chaque année son baromètre de confiance entre le public et les journalistes. Sur l’année 2020, plus de la moitié des personnes sondées ne font pas confiance aux médias, car ils les considèrent dépendants de pouvoirs économiques ou politiques, par exemple (Guyot, 2021). « L’information est dans la rue. Au-delà des caméras et des montages qui sont faits derrière », confiait un manifestant à Cécile de Kervasdoué, chroniqueuse pour France Culture (De Kervasdoué, 2019). Preuve qu’il y a du chemin à faire pour reconquérir le cœur des Français.

Avec la situation actuelle, et comme je l’écrivais dans un post de blog[5] il y a quelques mois, de plus en plus de journalistes souhaitent arrêter, et savent en tout cas qu’ils ne feront pas ce métier toute leur vie. « Lors des manifestations des gilets jaunes, j’allais en reportage avec la boule au ventre » m’a confié une journaliste, qui s’est fait molester et casser plusieurs caméras lors d’un reportage pour une chaine d’information en continu.

Alors les acteurs directement concernés, les journalistes et écoles de journalisme, ainsi que le gouvernement, tentent depuis quelques années de trouver un terrain d’entente, et de changer leurs pratiques d’exercice du métier pour se rapprocher de leur public. Notamment grâce à l’initiative Médias et Citoyens lancée fin 2019. Le but étant pour les journaux et groupes audiovisuels participants de laisser s’exprimer le public et de débattre avec eux sur les pratiques informationnelles. Le 2 décembre 2019 a d’ailleurs été mis en place un Conseil de déontologie de la presse, permettant au public de faire valoir leurs revendications concernant une potentielle atteinte à la déontologie journalistique (Tellier, 2019). À voir l’usage qui en sera fait d’ici quelques années, et si ces dispositifs permettront vraiment d’installer un climat de confiance entre les journalistes et leur public.

Un métier attrayant

Malgré tout cela, de plus en plus de jeunes étudiants se voient exercer ce métier : les horizons bouchés le prouvent. En moyenne, en 2016, seuls 7 % des candidats à une école de journalisme y étaient admis pour y suivre un cursus (Cassagne et al., 2017). Un taux plutôt faible, qui montre bien que la profession n’est pas donnée à tout le monde, et qu’il faut se donner pour y arriver. Donc en avoir envie. Est-ce l’image du Tintin reporter qui prédomine et fait rêver ? L’image du baroudeur qui part à l’autre bout du monde ? « Le journalisme est vu comme un métier qui a du sens et où l’on s’ennuie peu », confiait au journal Le Monde le maître de conférences en sciences politiques Ivan Chupin (Lumineau, 2020).

Il faut dire que le journalisme est un métier de passion, de découverte, d’attachement. Comme je l’écrivais dans mon édito de blog[6], « le journalisme est un pilier de notre société ». Et l’utilité aux autres, la mise à disposition d’une compréhension du monde font de ce métier « le plus beau métier du monde ».

Un bon journaliste, qu’est-ce que c’est ?

Même si la classification de bon ou mauvais journalistique est difficile à établir, tant les critères sont subjectifs, il y a quand même quelques règles simples et quelques bonnes pratiques à adopter lorsqu’un journaliste travaille.

L’information uniquement, pas de fioritures

 C’est le premier principe fondamental. Les productions d’un journaliste qui ne respectera pas ce principe n’auront aucun intérêt. Le plus important dans un travail journalistique, c’est l’information. Il faut à tout prix éviter le blabla, l’accessoire. « Le commentaire est un charmant superflu, la cerise sur le gâteau. […] De grands titres de presse ont vu leur existence compromise lorsque la tendance à l’éditorialisation l’a emporté sur la recherche d’informations », écrivait Jacques Mouriquand (Mouriquand, 2015).

Répondre aux 5W

Cette règle paraît enfantine et scolaire, mais c’est le principe-même du journalisme, qu’il est nécessaire de toujours garder à l’esprit. Dans un article (et mieux : dans le chapô) on répondra à ces 5W : Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Si la production apporte toutes ces réponses, c’est que l’article est complet. Dans le cas contraire, il faut le revoir et tenter d’apporter les éléments manquants.

Le choix d’un angle

Lorsqu’un journaliste choisi de traiter un sujet, il doit déterminer l’angle par lequel il va l’approcher. C’est-à-dire la façon dont le sujet sera abordé. Une fermeture d’école à traiter ? Les angles peuvent être multiples : que deviendront les professeurs, pourquoi avoir fermé cette école, qu’en pensent les parents d’élèves… En journalisme moderne, un même article peut parfois traiter plusieurs angles. Mais par principe, une production doit toujours être anglée.

La hiérarchisation et l’élimination

Après le choix de l’angle et la recherche d’informations, le journaliste doit hiérarchiser les éléments qu’il détient. Pour cela, il va travailler sur le principe de la pyramide inversée. C’est-à-dire partir de l’élément le plus important pour aller vers le plus anecdotique.

« L’écriture journalistique part d’une élimination liminaire, d’un choix radical » (Mouriquand, 2015). Cette phrase résume parfaitement la deuxième partie de ce principe journalistique. Pour hiérarchiser, il faut éliminer. Parfois, c’est au cours d’un reportage ou d’une recherche d’information que l’angle se détermine ou se précise. À ce moment-là, certains éléments, bien que très sûrement pertinents, doivent être éliminés. L’écriture d’un article, comme le montage audio ou vidéo, sont sources de grandes frustrations pour le journaliste : cinq minutes de reportage sont intéressantes. Le format en impose deux. 3000 signes dans un papier sont intéressants. La place disponible est fixée à 2000 signes. Il faut alors tenter de trouver le surplus, ce qui est moins intéressant. C’est souvent un déchirement pour le journaliste, mais c’est un choix essentiel, et surtout impératif.

Rendre son récit agréable

Le journaliste sait aussi rendre sa production agréable, que ce soit un article papier, une chronique radio ou un documentaire télévisé. L’attention du public est de plus en plus courte. Tout le travail du journaliste est aujourd’hui, de trouver l’angle bien-sûr, mais aussi de trouver un moyen d’attirer le public vers sa production. Pour cela, les mots d’ordre sont :

  • Vulgarisation : Le journaliste doit être clair pour son public, et expliquer les choses facilement et simplement. Il fera attention au langage, vocabulaire et acronymes employés, en faisant en sorte de toujours expliquer les éléments qui ne sont pas évidents.
  • Concrétisation : Le journaliste donnera des exemples, des images, pour que son public puisse facilement se figurer la situation. « La tour faisait 240 mètres de haut » peut être complétée par un « soit deux fois la longueur du stade de France ». La représentation sera déjà un peu plus évidente.
  • Précision : Le journaliste évitera les approximations. Il devra donner des données précises, raconter de façon minutieuse tout ce qu’il a vu et entendu, avec du détail. Comme le précise Mouriquand, il faudra alors éviter les verbes faire, avoir, être, mais privilégier des verbes plus précis et avec plus de sens.
  • Neutralité : Dans le journalisme, il n’y a pas de place à l’interprétation. Le public veut que le journaliste soit ses yeux, pas sa conscience. Exit donc les impressions (sauf dans les quelques formats journalistiques qui le permettent) et les avis personnels.
  • Facilitation : Faciliter l’entrée dans un texte, dans un reportage et faciliter la transmission de l’information. Plutôt que d’utiliser de longues phrases interminables, certaines données parlent d’elles-mêmes lorsqu’elles sont présentées sous forme d’infographie ou de schémas.

Les journalistes de demain ?

Qui seront les journalistes de demain ? Il est à l’heure actuelle compliqué de répondre précisément à cette question. Néanmoins, on peut déjà assurer qu’ils auront une place non-négligeable sur le net. Probablement que la presse écrite ne sera plus là pour en parler, peut-être que la radio sera très affaiblie mais toujours debout.

Une chose est sûre, le journalisme sera là. Mais sous quelle forme ? Des chercheurs se penchent déjà sur des projets d’automatisation du journalisme. En clair : des robots qui écrivent des articles. Et même si cela peut paraître utopique, l’initiative a bien été lancée en France en 2012 par l’entreprise Syllabs qui a permis au Monde l’écriture de petits articles pour analyser des résultats d’élections. Tout cela, automatiquement. Au cours de plusieurs autres élections, Le Monde expérimenta d’ailleurs cette technologie[8].

L’audio et le podcast ne sont pas épargnés par cette arrivée de l’automatisation et de la robotique. L’Express et l’Équipe utilisent tous deux régulièrement cette technologie pour réaliser des podcasts à partir de leurs articles papiers. L’intelligence artificielle analyse le texte de l’article, et le reproduit, parfois-même avec la voix de son auteur. Évidemment, toutes ces technologies sont mises en place pour faciliter le quotidien des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs. Mais n’est-ce pas là aussi la mort programmée du journalisme ? La vraie question, c’est : que ferons-nous de ces technologies à la fois pratiques mais aussi dangereuses ?

Notes :
[1] Du latin publicare, qui signifie « rendre public »
[2] RMC, BFM, 01net.com
[3] http://esj-pro.fr/formations-journalisme/animer-une-redaction-bimedia/
[4] Chaînes de la TNT, radios, presse papier gratuite
[5] https://hugopetitjean.fr/en-passant/letat-du-journalisme-en-france/
[6] https://hugopetitjean.fr/edito/
[7] https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/09/l-ere-des-robots-journalistes_1316608_3236.html
https://www.lemonde.fr/le-monde/article/2015/03/23/des-robots-au-monde-pendant-les-elections-departementales-oui-et-non_5995670_4586753.html


Sources utilisées dans cet article :
  • Cassagne, F., Rousseau, A., & Saingeorgie, T. (2017). Réussir son concours d’entrée en école de journalisme (Foucher).
  • Classement audience presse gratuite d’information 2021. (2021). ACPM. https://www.acpm.fr/Les-chiffres/Audience-Presse/Resultats-par-etudes/OneNext2/Presse-Quotidienne-Nationale
  • Classement audience presse quotidienne nationale 2021. (2021). ACPM. https://www.acpm.fr/Les-chiffres/Audience-Presse/Resultats-par-etudes/OneNext2/Presse-Quotidienne-Nationale
  • De Kervasdoué, C. (2019, janvier 25). Journalisme et citoyens : Comment rétablir un lien de confiance ? In Hashtag. France Culture. https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/journalisme-et-citoyens-comment-retablir-un-lien-de-confiance
  • Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’homme et du citoyen. (1789, août 26). Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000697056/
  • Fabre, J., Beyer, M., & Gaidoz, S. (2020, décembre). Médias français, qui possède quoi ? Le Monde Diplomatique. https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA
  • Guyot, È. (2021, janvier 28). Peut-on faire confiance aux journalistes ? La Croix. https://www.la-croix.com/Economie/Peut-faire-confiance-journalistes-2021-01-28-1201137544
  • Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. (s. d.). Légifrance. Consulté 12 janvier 2021, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000877119/?isSuggest=true
  • Lumineau, L. (2020, juillet 2). « Obtenir un emploi stable prend de plus en plus d’années » : Les jeunes journalistes, toujours plus précaires. Le Monde. https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/07/02/obtenir-un-emploi-stable-prend-de-plus-en-plus-d-annees-les-jeunes-journalistes-toujours-plus-precaires_6044970_4401467.html
  • Morel, F., & Salvator, J.-M. (2019). Les journalistes sont formidables (Calmann Lévy). 9782702166437
  • Mouriquand, J. (2015). L’Écriture journalistique (Cinquième édition). Presses Universitaires de France.
  • Reix, J. (2020, mars 5). Écrire plus pour gagner moins : Quand la course à l’audience tue le journalisme. Vice. https://www.vice.com/fr/article/884ddp/quand-la-course-a-audience-tue-le-journalisme
  • Tellier, M. (2019, décembre 3). Restaurer la confiance dans les médias : Voici les recettes. France Culture. https://www.franceculture.fr/medias/restaurer-la-confiance-dans-les-medias-voici-les-recettes