État du journalisme

L’audiovisuel public : quels intérêts à maintenir la redevance télé ?

Qu’est-ce que l’audiovisuel public ? Combien coûte-t-il aux Français chaque année ? Est-il vraiment indispensable ? Éléments de réponse.

Publié le 31 janvier 2022

« Faut-il privatiser l’audiovisuel public ? » C’est une question régulièrement remise au centre du débat, notamment lorsque les élections présidentielles approchent. Mais qu’est-ce que l’audiovisuel public ? Combien coûte-t-il aux Français chaque année ? Est-il vraiment indispensable ? Je vous propose quelques éléments de réponse dans cet écrit.

Mis à jour le 28 juin 2022 avec une ouverture sur l’enquête de l’universitaire Julia Cagé

Préambule

Je me dois déjà de faire une petite partie introductive pour préciser pourquoi j’écris cet article et qui suis-je pour le faire. Dans de nombreux débats, il est question de cette contribution à l’audiovisuel public. Certains estiment qu’elle est inutile et gaspillée, d’autres défendent au contraire qu’elle est indispensable pour garantir l’indépendance. Loin de moi l’idée de vous orienter vers l’un ou l’autre de ces postulats. Dans cet article, je tenterai de vous présenter objectivement à quoi correspond la contribution à l’audiovisuel public, et ce que vous payez lorsque vous réglez chaque année cette taxe de 138 €.

Je me dois tout de même de préciser, de façon tout à fait transparente, que je travaille par intermittence pour l’audiovisuel public. En effet, je suis occasionnellement salarié en contrat à durée déterminée chez Radio France, et plus précisément embauché par France Bleu Besançon. Inutile de préciser que j’aime cette entreprise, j’aime les services qu’elle propose, et que je suis pour le maintien de cet audiovisuel public. J’essayerai toutefois de rendre au mieux cet article non militant et le plus neutre possible.

Qu’est-ce que l’audiovisuel public ?

Jusqu’en 1981, un monopole d’État empêchait la création de radios libres et imposait la nationalisation de toutes les radios privées. Le ministère de l’Information contrôlait tout l’audiovisuel français. Même régime jusqu’en 1982 pour la télévision. Après cette date, les chaines de télévision et les radios privées ont eu la possibilité de s’installer dans le paysage médiatique français, même si l’audiovisuel public prenait encore une grande place. En 1986, le gouvernement décida de privatiser une de ses trois chaines de télévision. Entre TF1, Antenne 2 et FR3, le choix se porta sur TF1, rachetée par le groupe Bouygues.

Passé ce rappel historique, on voit que le statut public/privé de l’audiovisuel français n’est pas fixé depuis des siècles. Cependant, depuis la privatisation de TF1, rien n’a vraiment bougé. À ce jour, l’audiovisuel public français est composé de France Télévisions (France 2, France 3, France 5, France 4, Culture Box, France Info et la Première), Radio France (France Inter, France Info, France Bleu, FIP, France Culture, France Musique, le Mouv’), ARTE France, l’INA, France Médias Monde (RFI, France 24 et MCD) et enfin TV5 Monde.

Concrètement, cela signifie que tous ces médias sont financés par l’État français, notamment à travers la Contribution à l’Audiovisuel Public (la CAP), anciennement appelée redevance audiovisuelle. On les appelle les médias de service public. L’intérêt pour eux n’est pas de faire du profit, mais de divertir et d’informer. Leur budget doit d’ailleurs être équilibré (c’est-à-dire autant de dépenses que de recettes), comme celui des collectivités, par exemple.

La Contribution à l’Audiovisuel Public

Créée en 1933 dans le but de financer les médias français, la redevance audiovisuelle est une taxe payée par tous les foyers disposant d’un téléviseur, sauf exonération. Chaque année, elle représente une somme de 138  et rapporte plus de 3,6 milliards d’euros (chiffres de 2022). Un montant réparti entre les six entités médiatiques publiques à financer. La plus grosse part est accordée à France Télévisions, avec environ 2,4 milliards d’euros alloués en 2022, soient plus de 65 % de ce que rapporte la CAP. Suivent ensuite Radio France (590 millions d’euros), ARTE (280 millions d’euros), France Médias Monde (260 millions d’euros), l’INA (90 millions d’euros) et TV5 Monde (78 millions d’euros).

C’est en partie pour cette raison que très peu de publicité est diffusée sur les médias publics, car la redevance couvre en moyenne 85 % du budget annuel de chaque entité médiatique publique.

La privatisation de l’audiovisuel public au centre des débats

Il faut reconnaître qu’au premier abord, la somme de plus de trois milliards d’euros semble exorbitante : c’est près de 30 % du budget total du ministère de la Justice. Nuançons un peu cette impression : c’est moins d’un pourcent du budget global de l’État qui s’élève pour 2022 à 883 milliards d’euros.

Mais alors que les élections présidentielles approchent, l’occasion est trop belle pour les personnalités politiques de prendre parti, plus ou moins ouvertement, pour ou contre la privatisation de l’audiovisuel public. « C’est immédiatement 2,8 milliards de redevance que nous rendons aux Français. (…) A-t-on encore besoin d’un audiovisuel public de cette taille ? », s’interroge Marine Le Pen. Plus extrémiste dans le propos, Eric Zemmour estime qu’il faut supprimer la redevance « pour que le service public cesse de nous racketter, puis de nous cracher au visage ». Valérie Pécresse, elle, n’est pas contre cette privatisation, même si cette mesure ne fait pas partie intégrante de son programme.

Évidemment, les patronnes du service public, Sibyle Veil pour Radio France et Delphine Ernotte pour France Télévisions montent au créneau lorsqu’elles entendent de tels propos. « Nous vivons une période de secousses dans laquelle le service public audiovisuel est contesté par des acteurs qui questionnent nos moyens, notre impartialité et notre liberté d’expression. Ces attaques s’inscrivent dans la stratégie électorale de certains candidats à l’élection présidentielle », a écrit Sibyle Veil dans une tribune au Figaro le 7 novembre dernier.

Comment se démarque l’audiovisuel public ?

Alors, puisque ça coûte si cher, et parce que certains soumettent l’idée de tout privatiser, pourquoi ne pas se séparer de l’audiovisuel public, et ainsi économiser ces plus de trois milliards d’euros dépensés chaque année ?

Moins de publicité

Beaucoup de chercheurs qui écrivent sur les médias le disent : seule une infime partie du public médiatique est prête à payer pour des médias de qualité. Pourtant, beaucoup disent qu’il est appréciable de regarder la télévision ou d’écouter la radio sans devoir subir des pages de publicité d’une dizaine de minutes chacune. C’est donc ce qu’apporte le service public, qui a l’autorisation de diffuser de la publicité, mais de manière encadrée. Jusqu’en 2016, Radio France ne pouvait diffuser aucune publicité commerciale. Le 6 avril 2016, un décret paru a fait évoluer la loi pour autoriser la diffusion de publicités commerciales, à hauteur de 30 minutes maximum par jour et une moyenne trimestrielle sur chaque antenne de 17 minutes par jour. Grâce à cela, Radio France diffuse désormais des publicités sur France Bleu, France Info et France Inter. Les autres antennes ne sont pas concernées par cette nouvelle mesure.

Sur France Bleu, lors de la diffusion des programmes locaux, les pages de publicité arrivent au maximum tous les quarts d’heure. Il faut en plus différencier les publicités commerciales (des espaces publicitaires achetés par des entreprises) et les auto-promos (des annonces qui ne rapportent rien, mais aident à promouvoir les contenus France Bleu et Radio France). En moyenne, 3 % du temps d’antenne est consacré à ces auto-promos et 3 % également pour les publicités commerciales. Sur trois heures d’antenne, les publicités représentent donc environ 11 minutes en totalité (publicités commerciales et auto-promos), soient approximativement moins de 4 minutes par heure de publicité, dont environ 2 minutes de publicité commerciale. Sur France Inter, selon Camille Crosnier, 13 minutes de publicité seraient diffusées par jour entre 5h du matin et minuit.

À titre comparatif, après une écoute aléatoire au cours de la journée de radios privées, j’ai pu conclure qu’environ 16 % du temps d’antennes des radios privées étaient occupés par de la publicité, soit environ 10 minutes de publicité par heure. Selon Les Echos, TF1 diffusait environ 7 minutes de publicité commerciale par heure en 2018. 8 minutes pour M6. Malgré les faibles données récoltées, il me semble toutefois assez flagrant, en me basant sur mes impressions d’auditeur lambda, que les radios privées diffusent facilement plus du double de la publicité diffusée sur France Bleu.

La garantie de l’indépendance

Dans les radios privées, nous l’avons vu, la publicité est beaucoup plus présente sur l’antenne. En lien avec cet aspect commercial, il y a évidemment des questions à poser sur l’indépendance politique et financière.

« Investir dans la presse, c’est un moyen efficace pour s’acheter de la notoriété et de l’influence », écrivait le spécialiste de l’histoire des médias Patrick Eveno en 2016. La même année, la spécialiste d’économie politique et d’histoire économique Julia Cagé écrivait : « les médias ont perdu cette indépendance : ils sont détenus par des géants des télécoms, du luxe, de la construction ou encore de l’armement, pour qui ils ne constituent certainement pas une source de revenus, mais bien plus sûrement un outil d’influence ». Comment, en effet, garantir l’indépendance éditoriale des médias privés lorsque leurs patrons sont de grands industriels ou de grands milliardaires, à l’image de Bolloré (Canal +), Bouygues (TF1), Dassault (le Figaro) ou encore Lagardère (Europe 1, RFM, le JDD) ? La liste est longue. Il est facilement observable que chacun peut avoir un intérêt à faire passer un type de discours particulier dans « son » ou « ses » médias. En cas de scandale, les médias révèleraient-ils une affaire dans laquelle leur propriétaire industriel ou entrepreneur est trempé ?

De la même façon, comment garantir la totale indépendance d’un média privé, lorsqu’une grande partie de ses financements provient de la publicité ? À titre d’exemple, s’il faut dévoiler un scandale alimentaire lié à une chaine de grande distribution qui achète 30 % des espaces publicitaires d’une radio, cette dernière peut-elle vraiment se permettre d’en faire la une de son journal, au risque que l’enseigne concernée retire ses publicités de l’antenne, la privant de 30 % de ses revenus publicitaires ?

Enfin, le secteur privé dirige sa stratégie de programme avec le fil des audiences. Pour l’audiovisuel privé, un programme qui ne marche pas ou dont les audiences ne sont pas bonnes est un programme qui meurt. « Hors année présidentielle, les seules grandes chaînes généralistes à proposer des émissions politiques sont celles du secteur public. Pour la bonne et simple raison que leurs audiences sont jugées insuffisantes par le privé », écrit l’animateur Samuel Étienne dans un tweet.

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« Nous sommes indépendants des pouvoirs économiques et des pouvoirs politiques. C’est la base du contrat de confiance qu’on a avec nos concitoyens »

Delphine Ernotte

Présidente de France Télévisions

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Du côté du service public, puisque les médias sont financés avec de l’argent public, aucun investisseur économique ne peut faire pression sur les contenus informationnels ou de divertissement. Toutefois, certains détracteurs estiment que les médias publics sont « à la botte du gouvernement ». Pourtant, les directeurs des deux plus grandes entités publiques, France Télévisions et Radio France, sont choisis et nommés par l’ARCOM (née le 1ᵉʳ janvier 2022 de la fusion du CSA et d’Hadopi). L’instance décisionnaire de cet organisme est composée de 3 membres désignés par le président du Sénat, 3 membres désignés par le président de l’Assemblée Nationale et 2 membres désignés par le Conseil d’État et la Cour de cassation. Grâce à cette multiplication des instances pour la composition du collège de l’ARCOM, il est tout à fait possible de garantir l’indépendance des médias publics. Sibyle Veil, présidente de Radio France, l’a d’ailleurs rappelé : « L’indépendance des médias publics est rentrée dans les esprits de tous les responsables politiques, parce que jamais, à aucun moment, je n’ai eu à faire face à une quelconque tentative d’influence ».

Dominique Wolton, sociologue et directeur de recherche au CNRS en Sciences de la Communication appuyait d’ailleurs cette idée sur France Culture le 14 avril 2022 au micro de Marie Sorbier : « Il y a depuis toujours une bataille pour préserver et développer le service public, car la concurrence public / privé est indispensable. Le service public est bien plus indépendant qu’il y a 50 ans, tandis que les médias privés sont très fortement soumis à l’influence politique de leurs propriétaires », estimait-il.

Aucune visée commerciale et un intérêt pour le pluralisme

« L’information, chez nous, dans le service public, n’est pas une marchandise », rappelait Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions le 24 janvier dernier au Sénat. Pour les médias privés, c’est compréhensible : ce qui fera l’antenne de demain, ce sont les audiences. Il faut que les programmes marchent pour que le média tourne. Il faut cibler le public, représenter les opinions majoritaires, ou tout du moins celles de leur public cible, lésant ainsi les antennes privées de pluralisme.

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« Le secteur public est fondamental car il échappe à la logique de l’argent pour s’occuper d’une question essentielle : l’intérêt général. Il est un des acteurs majeurs de la préservation du pluralisme. »

Dominique Wolton

Directeur de recherche au CNRS

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Sur les antennes radiophoniques et télévisées du service public, la question n’est pas là. Aucun média public ne gagne à diffuser davantage une opinion qu’une autre. La seule limite, c’est évidemment qu’il faut maintenir des audiences correctes et des médias de qualité, afin de pouvoir justifier le paiement d’une redevance par la population, ainsi que pour conserver le soutien de l’État. Cet aspect mis à part, le service public a une totale liberté de contenu : il peut diffuser ceux qui marchent, mais aussi ceux qui sont plus marginaux et qui plaisent encore ! Il s’adresse à tous les publics grâce à ses nombreuses antennes.

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« Ce que le financement public permet, c’est précisément l’existence d’un espace de débat commun pluraliste, où ceux qui ne pensent pas pareil peuvent se parler, pour se comprendre à défaut de s’accorder. »

Sibyle Veil

Présidente de Radio France

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NOUVEAU : Pourquoi la suppression de la redevance pourrait poser problème ?

D’un certain point de vue, la contribution à l’audiovisuel public est un peu « obsolète » aujourd’hui. Pour deux raisons :

  • Parce qu’elle est payée par tous les Français dès lors qu’ils possèdent un téléviseur. Ce qui n’inclut ni les smartphones, ni les ordinateurs, ni les tablettes. Et à ce jour, les Français sont de moins en moins nombreux à s’équiper d’un téléviseur, ce qui ne les rend pas redevables de la contribution, même s’ils consomment les médias publics.
  • Parce qu’elle est payée par tous les Français, sauf exonération, quels que soient leurs revenus. Les ménages aisés payent donc le même montant que les ménages en difficulté.

La revoir n’est peut-être pas une si mauvaise idée. Toutefois, ce qui inquiète, c’est la garantie de l’indépendance de l’audiovisuel public. Là où les médias privés sont soumis à des pouvoirs politico-financiers, les médias publics sont, à l’heure actuelle, totalement indépendants de l’État, grâce à cette redevance.

On a besoin d’un audiovisuel public fort dans un contexte de désinformation, dans un contexte où les géants du numérique font circuler des informations qui ne sont pas toujours sourcées, on a besoin d’un audiovisuel public parce qu’il participe aussi à la création française.

Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, cité par Le Monde

Emmanuel Macron est opposé à la privatisation de l’audiovisuel public, ce qui suggère le maintien d’un financement de l’État pour le conserver. Pour cela, le gouvernement propose un budget décidé par chaque gouvernement, donc tous les cinq ans. Le risque, c’est que l’audiovisuel public doive faire face à des pressions de gouvernements qui pourront décider d’attribuer un budget plus ou moins important en fonction de critères personnels.

Des exemples européens et outre-Atlantique

En Grande-Bretagne, la BBC est l’exemple-type du média de service public. Créé en 1922, ce média est financé également pas une redevance payée par les Britanniques, fixée à 190 € par an. En Allemagne, la ZDF et l’ARD représentent les principaux médias publics, financés par une contribution fixée à 18,36 € par mois, soient 220 € par an. Enfin, en Belgique, la RTBF est également le média public de référence, né en 1930, mais financé par l’impôt, sans taxe spécifique.

Un grand nombre de pays proposent donc leurs propres médias de service public. Toutefois, comme l’audiovisuel français, c’est une grande partie des médias de service public européens qui est menacée par certaines personnalités politiques, notamment d’extrême-droite, qui souhaitent supprimer la contribution à l’audiovisuel et par ce biais, privatiser les médias publics.

Conclusion

Il n’y a pas qu’en France que le gouvernement a souhaité proposer à sa population des médias de service public. L’idée n’est donc ni anodine, ni inintelligente. Chaque année, ces médias coûtent un peu au contribuable, mais ils proposent en contrepartie des contenus qualitatifs, respectant le pluralisme et presque sans publicité. À ce jour, France Info est largement en tête des sondages concernant la confiance que les Français accordent aux médias. La cellule investigation de Radio France permet de mettre au jour certaines affaires propulsées à la tête des préoccupations médiatiques. L’audiovisuel de service public est précieux. S’en priver serait perdre la liberté et la spontanéité médiatiques acquises depuis de nombreuses années.

NOUVEAU : Pour aller plus loin

Je vous conseille de lire cette enquête de l’universitaire économiste Julia Cagé pour la fondation Jean Jaurès au sujet de la redevance. Après avoir interrogé près de 11 000 personnes, plus de la moitié des sondés se disent favorables au maintien de la redevance ou d’une nouvelle contribution à l’audiovisuel public.